La fermeture approchait, et Zhuang avait déjà donné sa dernière représentation. Il était un peu fatigué; ces dernières nuits, il dormait assez mal. Des flashs de sa « vie d'avant » lui revenaient en cauchemars beaucoup trop fréquemment pour qu'il ne puisse profiter d'un sommeil réparateur. En plus de le mettre dans un état de fatigue pas possible, ces flashs le rendaient nostalgique, presque jusqu'au point de le rendre mal dans sa peau.

Il avait prit le temps de se doucher et de s'étirer après le spectacle, pour éviter de se réveiller courbaturé le lendemain. Puis, n'ayant en fait rien de mieux à faire, il avait erré sur le site. Les clients le laissaient indifférent, mais il s'efforçait de sourire. Il affichait la même figure sympathique et sage dont il avait l'habitude, mais à l'intérieur, se sentait las.

Le carrousel lui sembla un manège attractif. C'est donc là que les pas de Zhuang se dirigèrent. Il vit toutefois qu'il n'était pas le seul à avoir eu cette idée; une autre employée s'y trouvait. Il ne pouvait l'identifier de si loin, mais se rapprochant cru distinguer Aurora. L'acrobate ne la connaissait pas vraiment, en-dehors du fait qu'elle travaillait au cirque et qu'elle était voyante. Étrange comme parfois on côtoie des gens sans vraiment leur adresser la parole. Sorte de cohabitation silencieuse, à laquelle peu à peu Zhuang s'était accoutumé depuis son arrivée au cirque.

Il se dirigea vers Aurora, puis s'installa, gardant tout de même une certaine distance. Il n'était pas asocial, mais n'était pas non plus ce que l'on puisse appeler un « animal social ».

« Bonsoir. »

Il ne se sentait pas d'humeur particulièrement bavarde, mais une conversation ne pouvait lui faire bien du mal. Avec un peu de chance, ça pourrait lui changer les idées.

Le bonsoir qu'Aurora lui retourna n'était pas invitant. Il ne laissait pas place à la conversation, mais Zhuang n'en fut pas offensé. Il savait bien que l'envie de parler n'était pas toujours présente chez tout le monde, et lui même ne savait plus trop s'il avait envie de se retrouver en compagnie de quelqu'un ou de côtoyer à nouveau la solitude, dans sa caravane. Aurora enchaîna toutefois, suite à cette salutation qui n'en était pas vraiment une.

« Désolé, c'est que je ne suis pas vraiment d'humeur .. la semaine a été longue et ce cirque est entrain de me faire perdre la tête, enfin ce qu'il en reste ! »

La phrase de la jeune femme fut, sembla-t-il, ponctuée d'un sourire. L'acrobate pouvait comprendre; le cirque n'était peut-être pas l'environnement le plus agréable ces temps-ci. Des choses étranges s'y passaient et l'atmosphère se faisait de plus en plus oppressante. En ces instants, l'asiatique souhaitait plus ardemment retourner chez lui, même s'il n'avait pas vraiment atteint les objectifs qu'il s'était fixés en partant à l'étranger.

Malgré tout, il prit une grand inspiration, laissant la bouffée d'air lui emplir les poumons, comme pour se vider la tête. Ça faisait du bien de respirer profondément une fois de temps en temps. Mais depuis les derniers jours, il oubliait de plus en plus souvent de s'arrêter l'espace d'un instant pour simplement respirer. Il ressentait l'ambiance, oppressante, peser sur sa poitrine, broyant presque ses os, lui enserrant le crâne.

« Pas d'inquiétudes. Je ne vous forcerai pas à parler si vous n'en avez pas envie. Il peut être tout aussi bénéfique de simplement "être", en silence, que de discuter pour briser la solitude. »

Il offrit à Aurora un sourire doux. Il n'y avait plus, dans ses sourires, autant de lumière qu'autrefois; ils portaient plutôt un voile de grisaille, de mélancolie, mais ils gardaient encore la même douceur et la même compassion. Si elle ne voulait pas discuter, il n'en ferais pas un plat. Lui-même n'était pas certain d'avoir envie de parler, mais la présence d'un autre être humain, quel qu'il soit, qui qu'il soit, lui faisait un certain bien. Il se sentait, du moins, un peu moins seul dans cet univers de plus en plus sombre, qu'il comprenait de moins en moins.