Je vais commencer par le commencement. Je suis née le 18 octobre 1914, à Belcastel, un petit village de France. J'ai eu, en grande partie, une enfance heureuse avec ma famille. Mon père Marcel, ma mère Jeanne, ma petite soeur Juliette, et moi, Hanselle. La petite famille Devereaux, fermiers, sans histoire, sans problèmes. Quelle surprise mes parents ont eu, lorsque je suis venue au monde. Voyez-vous, je ne suis pas ce que l'on pourraient caractériser comme étant ''normale''. On dit souvent de nos enfants qu'ils sont spéciaux, uniques en leur genre, hors de l'ordinaire. On aurait pu dire de moi que je n'étais tout simplement pas humaine. Difficile de croire que mes parents m'ont tout de même aimé et ne m'ont jamais exclus du cercle familial. Ce teint, ces yeux, des traits si rares, si étranges, si époustouflants...si monstrueux. Inutile de mentionné que j'ai été victime plus d'une fois des railleries et insultes de mes compagnons de classe. Ils me pointaient du doigt, chuchotaient entre eux, un dégoûtant petit sourire moqueur et cruel se dessinait sur leur visage. Je ne voulais plus aller à l'école, j'ai supplié mes parents plus d'une fois de ne pas m'y forcer à y aller, que je serai un bonne fille et qu'à la place, je les aiderais à la maison et aux étables. Rien à faire, ils ont toujours refusé, disant qu'une bonne éducation était de mise pour réussir dans la vie. Mais, ils n'étaient pas stupides, ils savaient pertinemment pourquoi je ne voulais pas y aller, ils avaient eux-mêmes été bousculés par les autres habitants du village. Après m'avoir vu pour la première fois, la plupart s'étaient exclamés des mots comme : « Démon! Monstre! Bâtard de Satan! », ou avaient accusé ma mère de s'être laissée tenter par le charme du diable et que j'en étais le résultat. D'ailleurs, notre prêtre local a proposé à mes parents de se débarrasser du problème, c'est-à-dire, me planter son poignard de cérémonie dans la nuque et me laisser ainsi jusqu'à ce que j'eus été saignée comme un porc, ou encore me mettre dans un sac avec des roches et me balancer dans la rivière, c'était au choix, en fait. Je n'ai jamais été baptisé, mes parents ne sont jamais retournés à l'église, depuis ce jour. Enfin, bref, je m'étale. Aussi étrange que cela puisse paraître, j'ai cessé de m'en faire avec tous ces jugements, lorsque Juliette est arrivée.
Le 15 juin 1920, il m'est impossible de décrire exactement ce qui s'est passée cette journée d'été là, mais, son entrée dans ce monde a bouleversé le cours de mon existence. Pour une raison qui m'est toujours restée inconnue, j'ai su que ce petit être allait changer ma vie pour le mieux. Sa naissance était une promesse que cela n'irait qu'en s'améliorant. J'ai su que je ne serai plus jamais seule.

8 années passèrent, et la vie était belle. J'avais, à ce moment-là, 14 ans et Juliette en avait 8. La ferme allait de bon train, nous avions reçu beaucoup de demandes de riches entrepreneurs pour quelques-uns de nos lopins de terres, nous avons fini par en vendre deux au plus offrant, mes parents en étaient très heureux. Fidèle à sa promesse, Juliette était devenue mon propre petit rayon de soleil, ma meilleure amie, ma béquille dans ce monde barbare. Rien ne me dérangeait pourvu qu'elle soit à mes côtés. Je goûtait, finalement, au bonheur, pur et vrai. Après des lunes de solitude, de tristesse et de dégoût pour moi-même, j'ai accepté qui j'étais, ce que j'étais, peu importe ce que c'était. Tout était parfait.

Le 28 décembre 1928, j'ai tout perdu.

Cette nuit d'hiver, mon univers entier s'est écroulé devant mes yeux.

Je ne pourrai jamais expliquer pourquoi ils ont choisis cette petite maison au lieu d'une autre. Pourtant, elle était si banale, si normale. Pourquoi ont-ils pris la nôtre ?

Pourquoi ?

Il était environ 9:45 du soir. Mes parents étaient assis à la table à manger, ils sirotaient un café et parlaient des nouveaux voisins qui venaient tout juste de s'installer plus loin sur notre route. On devait aller les rencontrer le lendemain. Juliette et moi leur avions même préparé un gâteau de bienvenue, avec l'aide de Maman, bien sûr. Pour notre compte, j'aidais Juliette dans son devoir de grammaire. C'est alors que notre chienne, Viola, qui vivait à l'extérieur, s'est mise à aboyer pour aucune raison apparente. Dès que mon père s'est levé pour intervenir, un coup de feu a retentit. Viola n'aboyait plus. Nous avions tous figés sur place. C'est alors qu'un froissement lointain a brisé le silence soudain. Un froissement qui gagnait en intensité plus les minutes passaient. Maintenant arrivé à quelques mètres de la maison, le froissement est devenu autre chose. Un bruit qui n'augurait rien de bon. Un bruit de pas, plusieurs pas qui se rapprochaient dangereusement. Notre père nous a ordonné d'aller dans notre chambre. Je déguerpis en vitesse avec ma sœur dans les bras. À la seconde où j'ai fermé la porte derrière moi, un vacarme de tous les diables s'empara de la pièce. J'a su que ces personnes avaient pénétré la maison, défoncés la porte d'entrée. Plusieurs voix masculines se sont dévoilés, ajouté à des pas saccadés dans la salle principal. J'ai pu discerner trois intonations différentes, trois hommes. Une phrase ressortit du lot : « Donner nous l'argent et on en finis là », dit un des hommes inconnus dans un français brisé, me disant qu'il n'était pas des environs, peut-être un Anglais ou un Irlandais. Connaissant mes parents, je savais que cette requête...cet ordre ne serait pas obéis, ils étaient beaucoup trop fiers. Je n'étais pas dans la même pièce, mais je pouvais presque goûter la tension qui s'y trouvait. Plusieurs minutes ont passé dans une absence de sons absolue. Un chuintement a, subitement, résonné dans leur pièce, puis un coup de feu. Le plancher a tremblé comme lorsque l'on échappe quelque chose de très lourd par terre. Ma mère a poussé un cri viscérale qui m'a glacé le sang en un instant, puis un autre coup de feu. Un autre poids lourd a tombé. J'ai compris ce qui est arrivé, malgré moi.

 

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