~ 1924 ~

Tout est noir. Où suis-je ? Je ne sais pas...
J'avance lentement. Je trébuche sur quelque chose. Quoi ?
"Hé !"
Qu'est-ce que c'est? Un bruit. Il vient d'où ? Là-bas. Où ça ? Je ne sais pas...
"Hé, petite ! Attends ! Viens par ici, tu... hé !"
Le bruit s'approche. Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qu'on me veut ? Quelque chose touche mon bras. Non, quelque chose s'y accroche. Qu'est-ce que c'est ? Je ne sais pas...
"Attends. Tu vas bien ? On t'a vu de là-bas, tu avais l'air perdue. Regarde-moi. Tout vas bien ? Que se passe-t-il ? Bon sang, regarde-moi ! Quel est ton nom ?"
Mon nom ? J'en ai un ? Quel est-il ? Je ne sais pas...
Mais quelque chose apparaît devant moi. C'est flou, ça n'a aucune forme. Ça n'a pas non plus de couleur. Mais ça se précise. Quelqu'un. Je vois quelqu'un. Allongé. Immobile. Blanc. Du bois autour. Je ressens une chaleur. Le feu brûle dans l'âtre. Mais l'homme est de glace.
"-e..."
L'image vacille. La chaleur disparaît.
"Petite..."
Tout disparaît. Les ténèbres reviennent.
"Allez, petite, qu'est-ce qui ne va pas ?"
« Je... »
Je ferme les yeux, avant même d'avoir réalisé qu'ils étaient ouverts. Et là, je reconnais l'homme qui se tient devant moi. Où plutôt, je le découvre. Et en l'espace de quelques minutes, je connais cet étranger. Je le connais peut être même mieux que lui même.
Et tout autour de moi n'était que ténèbres.

~ 1926 ~

Eliott est mort. On l'a retrouvé ce matin, il a dû trébucher. Il s'est cogné la tête en tombant dans le ruisseau qui longe l'orphelinat Hellens. Il est sorti la nuit dernière pour aller pêcher. Il était comme ça : toujours prêt à faire tout ce qui est interdit, juste parce qu'il e avait envie. Non, c'est faux. Je le sais bien. Il était persuadé que les limites n'existaient que pour être franchies. Il a franchie la dernière cette nuit. La seule dont on ne revient pas.
J'aurais dû l'empêcher de sortir hier. Parce que je savais que ça allait arriver. Je ne savais pas que ça arriverait aujourd'hui, mais je savais comment il finirait. Je l'avais vu. Il y a trois moi, quand il m'a demandé d'ouvrir les yeux et de le regarder. Il pensait sûrement que je le verrai mourir vieux, entouré d'enfants et de personnes qui l'aiment. AU lieu de ça, je l'ai vu tel que je l'imagine aujourd'hui, immobile dans un ruisseau, la tête pleine de sang. Je n'ai pas osé lui dire la vérité.

~ 1930 ~

"Hope, voici ceux qui vont t'adopter."
« M'adopter ? Pourtant, j'ai 14 ans déjà... Depuis le temps que je suis ici, personne n'a voulu de moi... »
"Justement, sois-en heureuse ! Remercie-les surtout. Qu'ils ne regrettent pas, hein !"
« D'accord. Merci. Merci pour tout. »

~ 1934 ~

"Hope ! Qu'est-ce que tu fais ? Où crois-tu aller comme ça ?"
« Je ne sais pas ! Je ne sais pas où je vais, mais il n'est pas question que je reste ici ! Il n'est pas question que je reste ici ! Il n'est pas question que je continue à faire ça ! »
Je suis en bas des marches. Je l'entends me suivre. Je me retourne, lui fais face, même si je ne le vois pas.
« Je vous interdit de me suivre ! Je ne suis plus une enfant, maintenant ! Vous n'avez plus aucun droit sur moi ! »
Je recule, lentement. Je sens sa colère grandir. Mais sa curiosité est plus grande encore.
"Pourquoi ? Hope, dis moi pourquoi tu fais ça ? Ici, tu as tout ce que tu veux, tu manges à ta fin, tu es bien traitée. T'a-t-on un jour fait du mal ?"
Non, bien sur. Ils ne m'ont jamais fait de mal. Et je sais que la vie sera dure si je pars. Parce que je ne sais pas où aller. Je n'ai personne sur qui je peux compter. Personne à part eux. Mais...
De l'eau coule sur mes joues.
« Je suis désolée. Je suis tellement désolée, mais je ne peux pas continuer comme ça. Je ne peux pas... Tous ces gens qui viennent... Ils donnent leur argent... Pourquoi ? Pour qu'on leur dise ce qui peut leur faire plaisir et qu'on leur cache le plus important : les secrets qui peuvent les détruire... Leur mort qu'on ne peut pas empêcher ! Je ne veux pas... Je ne peux plus mentir. Si on me donne de l'argent, je veux au moins dire la vérité. Toute la vérité, pas juste ce qui peut faire plaisir. Si les gens payent, ils ont aussi le droit de savoir ce qui va les détruire ! »
Sur ce, je laisse mes parents adoptifs interdits devant cette maison que j'ai décidé de ne jamais revoir.

~ Deux semaines plus tard ~

« Excusez-moi, monsieur... Je crois... Je crois que je me suis perdue... »
"Commence par ouvrir les yeux."
J'entends un sourire dans sa voix. Il ne dit pas ça méchamment.
« C'est que, je suis aveugle, monsieur. »
"Oh, bien. Pardon ! Je voulais dire, d'accord. Ici, nous sommes à Londres dans la rue de Greenwich, juste devant l'entrée du cirque."
« Un cirque, monsieur ? »
"Et bien oui, mademoiselle."
« Il a un nom ? »
"Je crois bien, oui. Enfin, mademoiselle, tous les cirques ont un nom ! Attendez que je trouve une affiche... Ah ! Voilà ! Il s'appelle "The Dark Circus"."
The Dark Circus. Je ne le vois pas, et pourtant, il m'attire terriblement.
« Merci monsieur. »
"Ah, mais de rien, mademoiselle ! Au revoir !"
« Au revoir, monsieur. »
The Dark Circus. Ces trois mots tournent dans ma tête, se font écho. Difficile de l'ignorer, cette ambiance lourde et pesante. Et tellement attirante. En m'approchant, je me dis qu'il ne me reste quasiment plus rien de l'argent que j'ai pris en partant.
Je pourrais peut être m'y faire embaucher...

Alors, tout en entrant lentement dans le zone du cirque, je me promet que s'ils m'embauchent, ce ne sera que pour dire la vérité aux gens. L'entière vérité.