Elizabeth est née avec une cuillère en argent dans la bouche. Famille riche, un père héros de la grande guerre, vieux nom, illustre. Elle a grandit dans un univers de mousseline et de porcelaine. Elle connait l'étiquette, les danses de salon, l'odeur de la fourrure et des scones frais pour le petit-déjeuner. Elizabeth a eu de la chance et sans doute le sait-elle. Mais les biens matériels ont leurs limites.
D'aussi loin qu'elle se souvienne, elle a toujours eu cette faculté. Celle d'être en empathie direct avec autrui. Celle de percevoir ce que l'autre -et ce pour peu qu'elle ne le touche- pense. Elle savait quand sa nourrice voulait qu'elle se taise pour parler au laitier. Elle savait quand les associés de son père mentaient ou quand les dames se jalousaient à l'heure du thé. Elle a toujours su.
Pour cela, il lui suffit de se mettre en condition: les mains à plat, le contact de l'épiderme agissant comme un fil électrique, l'âme concentrée, le regard qui ne cille pas.

C'était si amusant quand elle était enfant. Les gens trouvaient cela adorable. Puis les vérités sortant des lèvres pâles de la fillette eurent un gout de cendre.  Au début ce n'était que des gronderies, puis vinrent rapidement les regards sombres. Les chuchotis derrière les éventails ne tardèrent pas, suivit des pincements au bras, légers, indicibles, laissant si peu de traces si ce n'était à l'âme.

Elizabeth comprit rapidement qu'il fallait se taire. Elle trouva -au début- un silence réconfortant entre les murs d'un couvent pour jeunes filles de bonne famille. Elle s'en était ouverte à ses parents, calme et résolue. Se couper du monde semblait la bonne solution. Pour eux, pour elle.

Ses parents y virent la chance de se débarrasser d'une fille qui devenait encombrante en société, qui faisait peur. Malheureusement, la peur se reporta d'elle-même entre les murs du couvent. Là où Elizabeth espérait trouver le même pardon et la même bonté qu'elle ressentait dans la prière, elle ne reçut qu'intolérance.

Les gronderies revinrent. Les regards mauvais et les paroles basses derrière son dos. Les ongles coupantss sous les robes grossières des sœurs, toujours légers, toujours indicibles.

Mais le pire était cette impression d'être damnée, sans pouvoir lutter. A quoi bon quémander une absolution qui lui était refusée parmi les humains? Sans doute voulait-on la tester? On lui avait donner un don, elle ne le cacherait plus.

La Révérende-Mère refusant d'abriter encore plus longtemps une enfant du démon, lui assura qu'elle pouvait soit rentrer chez elle soit rentrer au sein de la troupe du Dark Circus. La manœuvre était habile. Rentrer chez ses parents c'était les rendre malheureux, risquer l'asile aussi. Les légendes entourant les asiles étaient glauques, fatales.

Ce serait le cirque alors.

Un vulgaire marché et un choix qui n'en était pas un.

Lorsqu'elle signa le contrat, Elizabeth décida que quoi qu'il advienne, dorénavant, elle ne mentirait plus.