J'ai un bouquet qui foisonnent de parfums frais. Je les ait arrangées, et lacées ensemble dans un petit foulard de cachemire qui essaie d'être aussi doux que la peau de Harley, sans y parvenir. Mon bain est soigneusement pris, et ma chevelure indomptable est quelque chose d'un peu plus concis apparemment... Je porte un costume bien trop élégant, d'un tissu dispendieux posé sur une exacte mesure à ma taille. Évidemment, puisque je me le suis cousus la semaine dernière par pur plaisir. Comme si j'avais pu prédire que je voulais me rendre du plus beau que je pouvais en devenir pour ma tendre.


Je ne devrais pas la surnommer ainsi dans mon discours interne. C'est complètement malsain que de me l'approprié, bien avant que je n'ose même lui avouer quoique ce soit de profond au creux des yeux. Harley est un ange. Elle pourrait être la tendre de quiconque croisant sa route... et pourtant, non. Non. J'ai une étincelle dans mes reins, un grondement dans mon estomac, qui tape, et tape, et tape à chaque coup que je doute : c'est notre destiné de s'unir, je peux le sentir en moi. C'est indescriptible. Mais c'est présent.

Je suis devant chez elle. Comme la première fois, il y a un petit moment que je mets. Je ne cesse d'imaginer ce soleil qui me perçait en la matinée qui s'était achevée sur une soirée miraculeuse. Le soleil commence à se coucher, pour nous laisser l'intimité de la noirceur pour nous seul. Je soupire en me disant que je vais cogner pour de bon, au moins quatorze-mille fois. Mon coeur bat trop fort, mes mains tremblent bien trop vite...

Puis, sans réfléchir, je cogne. Je sens la caravane vibrer jusque dans mes chevilles. C'est le stress, c'est tout.

À quoi est-ce que je m'attends? À tout ce que je désire. Est-ce que je me fais des illusions?

Mon cerveau se meurt brutalement. Harley a ouvert la porte. Je ne peux m'empêcher de remarquer inévitablement les moments gracieux qu'elle a pris de son temps pour se mettre « plus jolie »... Pour moi, elle n'est pas plus jolie. Elle est tout autant ravissante que ce matin, de sa bouille endormie. Mais c'est très différent, et je m'émerveille à redécouvrir sa beauté éclatante sous une autre lueur. Je lui souris. Son aura aurait put être un vent puissant mais onctueux qui me faisait foncer droit vers son coeur. D'autant plus que je me laisse porter par une odeur de sauce italienne qui fait saliver ma langue sans plus attendre. Elle devra se retenir de s'affamer pour tenter de s'articuler :

« Bonsoir, Harley. »

Ma voix est plus douce qu'en matinée, et je réalise que je prends de l'assurance. Parce qu'elle porte une robe luxueuse, parce qu'elle est coiffée et maquillée... Il m'est évident que nous voulons tout deux faire bonne impression. Je veux juste ces évidences cruciales qui me prouvent que mes intentions sont réciproques...

Je lui tends le bouquet de fleur, et embrasse chaque détail de sa robe de mon regard. Ce vêtement la met en valeur, ou plutôt bien davantage qu'on ne saurait décrire. Moi qui connait le centimètre exact de sa cuisse, pourtant, ne fais la découverte que de plus de beautés féminines. Je dois me contenir, et je dois me le répéter plusieurs fois.

J'entre dans la caravane comme elle m'invite. Elle a préparer une somptueuse rencontre qui donne l'appétit à tous les sens et toutes les idées de passion. Je me sens comme dans un rêve. C'est peut-être pourquoi j'agis avec autant de confiance.

« Vous êtes... magnifique. Absolument magnifique. Et votre souper sent à merveille. Et je... Je ne vous apporte qu'un ridicule bouquet. Désolé... »

J'ai peut-être pensé trop vite. Je ris faiblement, de gêne. Je sais tout de même que le temps me laissera me racheter, et lui offrir tous les trésors du monde.

Je la sens s'approcher de moi, je vois Harley lentement poser un baiser sur ma joue. Ce n'est qu'une reconnaissance. Mes yeux se ferment, et je vois le ciel qui se dresse d'un univers absolument complexe et vautré à notre porte. Comme si nous pouvions construire le monde à nouveau, ensemble. Bien sûre que c'est elle. C'est elle et personne d'autre.

Son audace de m'embrasser ainsi sur ma barbe heureusement fraîchement rasée m'envole jusqu'à l'extrême espoir. Ses joues se sont rougies, comme des timides, et je rougis aussi, comme ébouillanté par une frénésie importante et discrète. Elle me demande quelque chose, je regarde ses lèvres bouger, puis ses yeux, et me réprimande après être sorti de mes rêves :

« Du vin c'est bien... »

Je vois ce moment oppressant comme une évidence à ce qu'il faut tout déballer. Nous sommes dans un rancart, dans la toute théorie splendide que nous avons le béguin l'un pour l'autre. J'applique posément ma main sur la table, comme pour méditer à mes gestes. Je ne supporterais qu'Harley soit une trompeuse. Quoi que je n'y crois plus, à ce présent. Presque plus. Je soupire, et m'entends dire :

« Harley, vous semblez être une femme extraordinaire et... votre compagnie n'a été que délectable, enfin... Ce que je veux que vous compreniez est que j'aimerais qu'elle devienne quelque chose de récurrente, unique, et précieuse... Loin de là l'idée de vous embarrasser, mais si vous n'avez d'intentions réciproques, je... vous dirais adieu. »

Ma dernière phrase est à peine dite, comme un effort presque insurmontable à commettre. Mes yeux voguent sur le sol, et ma voix tremble légèrement. Je n'ai jamais été d'un talent inné pour les discours du coeur, bien que j'en ai le courage. C'est sûre aussi que, après avoir reçu le baiser d'une femme pour la première fois de sa vie, je me sens aussi fébrile qu'une feuille d'autant à la merci du vent froid.

Qu'importe tout. Je veux percer chacune de mes inquiétudes, et sa réponse seul pourrait me donner l'accès à la pénombre ou à la lumière. Comme une ange, ou une déesse, en aurait le pouvoir.

Je sens un grondement en moi. Je le cale dans une énorme gorgée de rouge. Et je fixe Harley droit dans les yeux, enfin.

Je ne connais Harley que de quelques heures : de visites, de mémoire et de rêveries. Mais je sais qu'à cet instant, où elle se mord les lèvres délectablement, qu'elle vit une nervosité subtile. Je ne saurais comment deviner ses délicates manies qui font d'elle une douceur charmante. Pour moi, davantage, même séduisante. Ma nervosité devait paraître bien plus que celle de la beauté devant moi. Et pourtant... Pourtant, je perçus immédiatement le regard de Harley s'adoucir, et sa lèvre se libérer de son étreinte d'angoisse, doucement...

Puis elle s'approche doucement, et mon coeur est un fanfare dans mon oreille. Qui bourdonne, et qui bourdonne. Le temps s'étire sur des secondes qui paraissent des heures. Je suis dans le ventre d'une anticipation catastrophique, qui me ferait perdre tout contrôle si elle s'avérait néfaste. Pour la première fois, j'ai envie de prendre une femme dans mes bras, et de la combler de bonheur. De lui offrir toute mon énergie, tout mon corps, tout mon coeur, à jamais...

Sa voix me parle comme une soi qui ne peut être plus délicate. J'aurais cru qu'elle me prendrait dans ses bras et que l'on s'envolerait. Mais il en fut autrement. De manière plus réaliste, c’est-à-dire, j’exalte d’un bonheur vif qui m’est inconnu et plus puissant que n’importe quelle ambition poussée par la passion d’autrefois.

Mon regard se perd dans le sien, un bref instant. Je suis souriant, très paisiblement. Je sens que je viens de poser un pied sur un chemin bien nouveau, heureux, d'une fin adorable. Non pas comme le reste des prédispositions avec autrui de ce cirque... Je pourrais franchement dire, même, qu'avec quiconque autre en cet univers je ne pourrais m'épanouir de tel. Elle me donne la gloire intérieure. Celle qui est fantastique, et bénéfique.

Je trinque avec elle. J'oublie l'espace et le temps. Il n'y a que son aura qui n'appartient au loi des physiques, à présent. Ma voix est du coton. Je me sens patauger dans le fantasme. Je la regarde toujours, mon visage est désormais et à jamais chaleureux.

« Alors, douce Harley, quelle était votre vie avant le cirque? Qu'est-ce qui pousse une jeune femme aussi précieuse à vouloir risquer sa vie sur scène..? » dis-je d'une once de réticence maladroite. C'était toujours associé à des visions d'horreur, ce genre de discours. Mais je me tâche visiblement de garder droit chemin; puisque plus rien ne pourrait affecter mon bonheur à présent. Et je prends mes aises, graduellement.

« Euh... Je pourrais avoir une coupe de plus, s'il vous plaît. J'ai terminé la mienne, déjà... » je murmure accompagné d'un sourire timide. Ne se saoulons pas trop pour l'amour de l'Amour, enfin...

Je bois davantage des paroles de Harley que de l'alcool, quoi que celui-ci rentre assez bien en mon goulot. Elle raconte sa vie prédestinée, qu'elle ajuste en disant en toute impudeur que les femmes devraient avoir davantage de liberté que les vaches laitières en ont. Puis, la pauvre ange se dit crue de parler de la sorte… Pour ma part, je vois cette beauté à réfléchir sans frontière à l’univers qui devrait nous chérir davantage pour ce que nous sommes totalement remarquable. Moi-même j’eus été soumis bien trop de fois à la volonté d’une vie pré-destinée par mes parents, et leurs idéaux confus… Chaque personne se devait de s’épanouir, et je n’avais que flammes au coeur à penser que Harley faisait partie de ces privilégiés de l’esprit, et du geste.

Il en est quand même tordu pour moi de l’entendre dire de tel… Après tout, cette vie à rester au foyer, à m’occuper des enfants, à m’occuper de la maison, à apprendre à mes enfants à construire et rêver… C’était pourtant un futur qui me faisait rougir de bonheur. Peut-être trop non conventionnel pour le père… Comme une rébellion de la mère, et enfin un cri d’amour du père. Suis-je vraiment déjà en train de m’imaginer un futur aussi profond avec elle?

C’est sa question qui me sort de ma rêverie audacieuse. Nous ravivons les coupes de vin. Nous épuisons la soif, de nos lèvres, de nous connaître… À la suite de sa question, elle me propose que nous enchaînions ce questionnaire de ce fait. Je trouve l’idée cocasse, parfaite pour qu’elle me dévoile absolument tout d’elle-même. Ce que je veux apprendre et sentir…

« Bien sûre, l’idée est tout à fait plaisante. » dis-je en sautant sur un canapé sans trop me faire attendre.

Si l’on dit que les femmes gagnent le coeur des hommes par leur ventre, peut-être est-ce trop facile de dire que je suis déjà sous le charme depuis quelques heures… Néanmoins, elle fait à manger comme une grand-mère aurait su le faire : habilement, sans cérémonie et pour un résultat absolument délectable. Je salive juste à avaler mon apéritif.

« Vous avez un talent pour la cuisine, vous devez le savoir… »

Je me rafraîchis la bouche d’une gorgée de vin, puis réponds enfin à sa question.

« Avant de venir ici, et bien… J’étais ce petit garçon à mère et père. Enfin… Ils n’étaient pas trop présents, mais ils faisaient bien sûre à ce que je passe mes journées à la maison, seul, à étudier avec ou sans professeur des matières tout autant complexes qu’inutiles… Inutiles pour un couturier, enfin. »

Je me sens de plus en plus honteux à dévoiler cette vie qui a moins de charme que je ne l’avais cru avant de le mentionner à haute voix.

« C’est juste que… mon père était un chef d’entreprise. Il ne voyait pas vraiment d’avenir payant pour son fils dans le domaine de la couture haut-de-gamme… Et on sait bien que le reste de la couture est réservé… aux femmes. »

Je conclue sur un rire jaune. Parce que, bien sûre, il n’y avait que l’image de l’homme fort ne pouvant accomplir les tâches domestiques qui me coinçait à faire la couture pour la scène, pour la royauté, et encore là… Évidemment que ce fut une rage toute mon enfance.

Enfin, moins joyeux que je ne l’aurais cru. D’accord, à mon tour! » je dis en voulant changer la voie de la conversation rapidement. « Qu’est-ce que vous serez devenue dans 10 ans, selon vous? » je lui demande en fin, l’espoir du rêve tendre dans le creux des yeux qui embrassaient les siens à perfection. Harley était si jolie qu’on en traduisait une hypnose catatonique et instantanée, dès qu’on prenait la peine d’y poser l’instance d’un regard.

Je ne sais trop ce qui m'enivre autant : les paroles de Harley, ou l'alcool que nous ingérons passivement. J'avais l'eau à la bouche pour bien plus que sa cuisine. Avide de trouver le joyaux ultime en elle qui la ferait éclore de tout l'amour humain. Nous sommes âmes soeurs, c'est une évidence. Je me sens flotter, comme s'il y avait enfin cette voie absolument sécuritaire qui se dresse devant moi. La trahison devient impossible, j'en suis convaincu. Il y a trop de bonté et d'aisance dans nos énergies partagées... C'est la première fois que de tel m'arrive, au bon nombre d'artistes que j'ai côtoyer sans pertinence dans le cirque.

Évidemment qu'elle abjecte cette façon de penser de mon père. Elle ferait une mère formidable, je n'en doute pas un instant. Je souhaiterais toute ma vie, et donnerais tout ce que je possède pour être le père de ses enfants, un jour, possiblement. Je m'empourpre et m'emporte si rapidement que je me dois de me redresser. Si je lui dis quoi que ce soit, dans l'immédiat, elle me prendrait pour un cinglé comme n'importe qu'elle femme sensée le ferait au premier rancart.

Quand elle réponds à mes questions, l'audace de ses paroles venant d'une bouche féminine d'une époque rauque me fait rire, doucement. Non pas de dérision, mais bien d'extase. Il n'y a rien de plus magnifique qu'une fleur qui éclot, visiblement. Je l'admire de tout son courage. De ce genre de mots qu'on ne peut arborer qu'en toute bravoure ou intimité, en assumant les conséquences qu'ils imposent. Quand elle me retourne la question, je souris et n'hésite une seule seconde :

« Et bien, dans dix ans... j'espère faire fleurir ma femme plutôt que de lui faire jouer à la plante. J'espère avoir des enfants en santé qui ferait bien ce qu'ils veulent. »

Bien certainement que je sais me contenir et me retenir de lui avouer que ce son ses enfants dont je parle. Je ne peux déclarer autrement : je me sens fou, tout à fait amoureux. Et ce sentiment éclair qui fait une constatation maladive - et complètement évidente - de mon état jovial me propulse des papillons dans la cage thoracique. Si je continue, c'est par automatisme de l'envolée du moment magnifique.

« J'aimerais toujours être couturier, évidemment. Pour un cirque ou pour une firme d'entreprise... qu'importe. »

Et je balais mon dialogue d'un geste de la main. Purement inintéressant contrairement à ce qu'elle pourrait bien me répondre une fois ou l'autre. Je prends une autre gorgée de vin, et patauge dans de plus profondes idées :

« Mais enfin, j'aimerais savoir... Vous parler si franchement, de ce que les gens n'osent prononcer ou même imaginer encore totalement. Vous faites des élans des mètres de hauteur sans sécurité, en vous fiant à une corde et votre adresse... Comment est-ce qu'une femme va puiser autant de courage? D'où est-ce que cette bravoure fougueuse peut-elle bien provenir? »

Et je demande dans une totale admiration, sachant que je n'en serais jamais capable, comme le piètre peureux que je sais être.