Les cadavres ambulants ont longtemps fait partis des peurs enfouies et des croyances de diverses populations de part le monde. De l'apocalypse aux histoires de vampires qui sont apparus dès le XVIII éme siècle, l'Homme a toujours frissonné de plaisir en passant près des cimetières.
Le cinéaste Robert Wiene ne s'y est pas trompé et a offert au cinéma son vrai premier mort-vivant: Cesare, le somnambule du docteur Caligari. Fameux.

J'ai eu longtemps moi aussi une fascination morbide pour les histoires de ce type. Tout particulièrement pour les monstres, ça stimule l'imagination. Qu'ils soient invraisemblables comme Frankenstein qui est né d'expériences, ou probables comme Barbe Bleue, l'un des pires Serial Killer de la littérature, l'excitation est grandissante aux fils des lignes pour le lecteur. Ils reflètent des tourments et des questionnements sur la condition humaine, nos pulsions, notre rapport au corps ou aux autres. L'horreur du personnage est soit retranscrit extérieurement ou intérieurement. Docteur Jekyll et Mister Hyde joue très bien sur ce concept et est passionnant.
Edgar Allan Poe m'avait bouleversé quand j'étais enfant, m'ayant contaminé par son univers fantastique et terrorisant. Les tourments cauchemardesques de ses personnages m'ont toujours impressionnés.
Mais tout ça, ce sont des digressions de ma part. L'intérêt de parler de ça est de vous dire que je suis une des personnes dans ce bas monde à être le plus concerné par ces histoires de morts revenant à la vie. Laissez moi vous expliquer mes mésaventures.

Après m'être passé la corde au cou pour la première fois, j'ai dû me faire à l'idée que si on ne venait pas me détacher rapidement, j'allais m'ennuyer ferme pendant une durée indéterminée. Pourtant, le choque fut rude lorsque je fis tomber le tabouret qui me soutenait. Ma nuque a violemment craqué. La douleur s'est  estompée aussi rapidement qu'elle était venue.
Ma solitude ne m'a alors jamais paru aussi insupportable. Quelle tristesse de ne pas pouvoir mourir quand et comme on le souhaite.
Au bout de trois jours, ma voisine est passée, inquiète de voir mon chat quémander à entrer dans mon appartement sans que j'y réponde. Elle a cru que je venais tout juste de tenter de me suicider lorsqu'elle a ouvert ma porte. J'étais incapable d'expliquer à quelqu'un une situation aussi irrationnelle que la mienne et j'ai accepté son aide sans savoir quoi dire. Elle m'a fait chié pendant des mois à la suite de ça, guettant mes moindre faits et gestes.
Bien sur, j'ai retenté l'expérience de manière plus radicale: un flingue entre les dents. A part avoir tâché mon mur et mes draps de lit, rien y fit. Le goût de mon propre sang dans la bouche avait quelque chose d’écœurant, pire encore lorsque je compris que ma cervelle me coulait dans la gorge. Sauf qu'au bout de quelques secondes, inexplicablement, tout se remit en place, se restructura convenablement. Bêtement, je me rappelle avoir pleuré. Tout ces efforts pour mettre fin à mes jours étaient vains.
Je vous jure que j'ai tout essayé: le poison, la noyade, me jeter du haut d'un immeuble, me faire passer dessus par une locomotive, m'enfoncer un crayon dans le nez violemment, m'ouvrir les veines, m'immoler par le feu (terrible souffrance mais piètre résultat) etc... De même, j'ai tenté de drôles d'expériences comme m'arracher les ongles. C'était douloureux et je perdais du sang en abondance, mais aussi étrange que cela puisse paraître, l'hémorragie se calmait rapidement et je me retrouvais comme un imbécile avec des saucisses pour doigts pendant quelques temps. En voyant le résultat, j'ai évité de jouer avec mes dents au risque de ne pas les voir se reformer de si tôt.

Mon acharnement a tenté de me donner la mort peut sembler bizarre, mais à l'époque j'avais de nombreux problèmes. Franchement, ma vie était inutile. On m'a toujours fait croire dans ma famille bourgeoise de trous du cul que je valais mieux que les autres. Mes parents et leurs parents se sont enrichis par le commerce maritime et l'envoie d'esclaves noirs aux Etats-Unis. L'abolition de l'esclavage ayant été décrété en 1848, je n'ai pas connu cette époque.
Liverpool est une belle ville portuaire où j'ai grandi, pleuvant cinq jours sur sept et où j'ai passé 21 ans de ma vie à rien foutre. Enfin si... Croire que j'avais du talent musicalement, me gaver de livres et courir les filles.
Lorsque je suis parti sur Londres, mon petit monde s'est effondré. Moi qui rêvais d'une grande carrière, mes rêves ont été brisé après avoir passé de multiples concours et auditions catastrophiques.
Mon frère, de deux ans mon aîné, a repris l'affaire familiale pendant ce temps là. Nos rapports étant conflictuels, James m'a laissé dans la merde, évitant consciencieusement de m'envoyer une quelconque autre aide financière que celle me permettant tout juste de payer mon loyer.
A cause de lui, je me suis mis à flâner dans les bars pourris de la ville, travaillant comme je pouvais, rendant services à qui voulait. La nourriture était le plus difficile à obtenir et je me voyais devenir de plus en plus rachitique. Mes rares plaisirs étaient de m'infiltrer dans les places diffusant des films. Les images mouvantes me fascinaient.

Après une histoire d'amour chaotique, des non réponses de mes parents à mes lettres et ne me voyant aucun avenir favorable, j'ai décidé de mettre un terme à mon calvaire. Et comme vous le savez, ce fut sans succès. Je ratais tout, jusqu'à ma propre mort.
Longuement j'ai eu des crises de foi catholique, puis un dégoût profond pour la bible et ses conneries. La seule chose positive était que je ne pouvais pas mourir de faim malgré un affaiblissement corporel notable. La douleur des gargouillements de mon estomac vide me dissuada d'en faire tout de même totalement abstraction.
J'ignore franchement d'où me provient cette faculté extraordinaire. Probablement suis-je déjà mort avant, ou bien est-ce une malédiction ?

Ma venue à Dark Circus, quant à elle, a été une décision consciente et avant tout, une provocation que Maître Todd a dû apprécier. En visitant les lieux et en croisant les étrangetés parcourant l'extérieur du chapiteau, j'ai eu la sensation de faire parti de cet univers monstrueux et spectaculaire. A mon tour j'ai fait un tour de magie inconcevable devant des spectateurs stupéfaits de dégoûts: un lanceur de couteau a accepté de me viser entre les deux yeux. Le cri commun horrifié de la foule m'a fait frissonné de plaisir. Il m'a ouvert le crâne. Au moment même où j'ai retiré la lame, la plaie avait disparu. Le type qui venait de réaliser le tour en ma compagnie ne parut pas plus surpris que ça. Quelques minutes après, je me retrouvais face à un homme coiffé d'un chapeau haut de forme, un type avec un sourire énigmatique sur les lèvres qui semblait m'avoir attendu dans une roulotte parmi tant d'autres. Mes yeux sont tombés sur le contrat qui était posé sur la table qui nous séparait.

Avant de le signer et après l'avoir lu, Maître Todd, sans me prévenir, n'a pas hésité. Il m'égorgea d'un geste vif et constata mon incroyable régénération qui n'avait en effet rien d'un tour de magie. J'allais sur mes 24 ans et j'étais enfin accepté, et cela malgré ma monstruosité.