Elle ignorait où elle avait vu le jour. Sûrement un village dans la Russie profonde. Son père était fermier et sa mère s’occupait d’elle et de ses frères et sœurs. Elle savait qu’il y avait d’autres enfants avec elle, mais elle ne savait pas exactement combien ils étaient. Peu de temps après sa naissance, sa mère mourut. Elle n’en garde aucun souvenir. Son père, travaillant à la ferme, ne pouvait garder et élever tous les enfants. Restèrent alors près de lui à la ferme les trois garçons de plus de dix ans pour l’aider et envoya les autres dans différentes familles. Elizaveta se retrouva, par chance, chez la sœur de sa mère. Elle vivait à la ville après avoir épousé un riche aristocrate. Avec une de ses sœurs, elles y passèrent une première partie de leur enfance, jusqu’à ce qu’elle est cinq ans. Elle ne se souvient pas de grand chose, seulement du fauteuil rouge et moelleux dans lequel il leur été interdit de s’installer mais qu’elle occupait en cachette ; de l’odeur des plats préparés par la domestique ; des lits qui grincent la nuit. Puis, lassée de s’occuper d’enfants qui n’étaient pas les siens, leur tante décida de les vendre. La sœur d’Eli ne trouva pas preneur et fut envoyée dans un orphelinat. Elizaveta eut de la chance. C’était une enfant douce et charmante. Sa tante connaissait un riche couple qui n’arrivait pas à concevoir un enfant. Elle leur proposa puisque sa nièce était encore jeune de leur vendre l’enfant. Ils acceptèrent, désespérés. C’est ainsi qu’elle connu la seconde partie de sa vie. Elle fut joyeuse, elle ne manque de rien, pas même d’amour. Elle oublia bien vite sa tante et sa famille. Ceux qui l’avaient acheté pour leur plus grand bonheur étaient gentils avec elle, et l’éduquaient comme s’il s’agissait de leur propre fille. Sa mère, professeure de danse classique, forma sa meilleure élève. Elizaveta apprit à aimer la danse et à danser. Elle devient douée et fut poussée sur les devants de la scène. A seize ans à peine, elle commençait déjà à se faire un nom dans le milieu. Elle rêvait déjà d’une grande carrière, de dentelles, de paillettes, de lumières, d’or. Elle rêvait déjà de voir son nom sur les affiches et si ce fameux soir elle n’avait pas été trop loin, c’est ce qu’elle aurait obtenu. Mais Eli était trop ambitieuse. Elle travaillait des heures durant, enfermée dans sa chambre. Un soir, elle en donna trop. Exténuée, elle s’écroula de tout son poids sur son genou qui percuta violemment le sol. Elle resta six mois allongée dans son lit, dans l’impossibilité de bouger sa jambe. Sa jeune carrière était déjà terminée. Après une demie année à être alitée, elle pu enfin remarcher. Sa mère, qui nourrissait tant d’espoir de danseuse étoile ratée dans sa fille se montra dure et froide après cet accident. Son père mourut quelques mois plus tard d’une terrible pneumonie. Elizaveta décida de fuir. Elle ne voulait plus souffrir de ce passé, elle voulait oublier, mettre le plus de distance possible entre cette vie qu’elle maudissait et elle. Elle s’en alla un soir d’été. Elle prit un bus, puis un autre. Elle vivait de l’argent de poche qu’elle avait emportée, mais un jour elle donna sa dernière pièce. Elle ignorait où elle allait, mais chaque fois qu’elle fermait les yeux elle y pensait, chaque fois qu’elle se retournait, elle voyait au bout de la rue la maison dans laquelle elle avait vécu toutes ses années. Alors elle continuait d’avancer. Elle commença à travailler. Au début, elle trouvait de petits boulots de saison dans les fermes puis à la ville. Mais au fur et à mesure, son apparence se dégradait. Maigre, en haillons, on refusait à présent de l’employait et bientôt elle vendit son corps. C’était le seul moyen de survivre. Elle n’aimait pas faire cela, mais elle n’avait pas le choix. Un jour, elle prit un bateau. Elle ne savait même pas où il allait, mais elle s’en fichait. Elle débarqua à Londres. Après avoir erré quelques semaines en ville, elle tomba sur le cirque. C’était la promesse de repas chauds tous les jours et d’un endroit où dormir. Peu importe ce qu’on lui demandait en retour, ce que cela lui imposait : elle signa sans se poser la moindre question. On lui adressa une roulotte et on lui expliqua son rôle. Très vite, elle reprit sa profession de prostituée. C’est sa nouvelle vie.